Jamais on n'avait vu autant de monde à ses obsèques
Il faut préciser qu'il mourait pour la première fois
Il y avait des gens, encore des gens et même un Tchèque
Qui, pour la rime, se trouvait là
De son vivant il n'avait jamais attiré personne
La foule le méprisait du fait qu'il existait encore
Car pour être enterré, du moins dans le monde où nous sommes
Ça fait du tort d'être pas mort
Combien de fois, pourtant, n'avait-il pas tenté la belle ?
Priant le fossoyeur de s'apitoyer sur son sort
Hélas, le terrassier criait menaçant de sa pelle
"Revenez quand vous serez mort !"
Par ces temps décadents quel destin curieux est le nôtre
Annoncez votre mort, on vous traite de resquilleur
Et, pour vous empêcher d' vous attribuer la place d'un autre,
On vous prie d'aller vivre ailleurs
Aller vivre sa vie c'est bien moins marrant qu'on n' le pense
Pourtant nous la vivons jusqu'à son bout, fidèlement
Semblable dévotion devrait permettre en récompense
De vivre son enterrement
On serait à la fois des deux côtés du chrysanthème
L'enterreur enterré, le sens dessus, le sens dessous
Et, comme on n'est jamais si bien suivi que par soi-même,
On se pleurerait tout son saoul
Dans notre monde, hélas, les défunts n'ont droit qu'à se taire
Ça n'est pas d'aujourd'hui que c'est ainsi et c'est navrant
Mais si les morts pouvaient se rendre eux-mêmes au cimetière
À quoi serviraient les vivants ?
Mieux vaut n'en plus parler qu'avoir le droit de n'en rien dire
Suivons les morts ingrats qui, eux, jamais ne nous suivront
Et, s'il faut en pleurer plutôt qu'être obligés d'en rire,
À quoi bon se faire du mouron ? Mourons !